Le magazine El JEICH a interviewé Madame Frédérique Jacquemin, responsable de l’Initiative du Renforcement des Capacités de Défense de la Mauritanie auprès de l’OTAN. L’entretien a porté sur les aspects clés de la coopération entre la Mauritanie et l’Organisation. Il a été mené en marge de la visite récente de Mme Jacquemin à Nouakchott, à la tête d’une mission chargée d’évaluer les activités de l’initiative dans le pays.
Voici le texte intégral de l’interview :
EL JEICH : Quel est l’intérêt porté à la Mauritanie dans les choix politiques et stratégiques de l’OTAN ?
Mme Frédérique Jacquemin : Je voulais d’abord dire que je suis très heureuse d’être de retour à Nouakchott, une ville que je connais bien. J’ai une partie de mon cœur et mon âme, qui est en Mauritanie depuis longtemps déjà.
Comme vous le savez, la Mauritanie est un vieux partenaire de l’OTAN. Ça fait presque deux décennies que nous travaillons ensemble avec deux aspects importants : la coopération pratiqueet tangible que l’on voit sur le terrain et le dialogue politique entre la Mauritanie et l’OTAN.
EL JEICH : Quel est le bilan actuel de la coopération entre la Mauritanie et l’OTAN ?
Mme Frédérique Jacquemin : Je pense que c’est un bilan concret et important dans la mesure où il a été redit et concrétisé au sommet de l’OTAN à Madrid en juin 2022. Lors de ce sommet, l’ensemble des Chefs d’États et des gouvernements ont marqué leur accord pour mettre en œuvre ce DCB (DefenceCapacity Building) pour la Mauritanie.
Dans le cadre de ce DCB, il y a six initiatives cruciales qui ont été discutées, travaillées entre l’OTAN et les Autorités mauritaniennes, notamment les Forces Armées et le Ministère de la Défense.
EL JEICH : En quoi exactement consiste ce DCB, Programme de l’initiative de renforcement des capacités de défense et des capacités de sécurité en Mauritanie ?
Mme Frédérique Jacquemin : Ce DCB contient six initiatives : le renforcement des Forces Spéciales, la sécurité maritime, la formation militaire, l’intelligence et les renseignements. La cinquième initiative est relative à la question de la conversion et de la réinsertion des militaires hors-cadre dans la société civile, ce qui est extrêmement important pour la société mauritanienne et pour les Forces Armées mauritaniennes. La dernière initiativeconcerne la question des petites et moyennes armes.
EL JEICH : Vous venez de citer les initiatives associées à ce programme. Quelle est l’évolution des activités en cours, en lien avec ce programme en Mauritanie ?
Mme Frédérique Jacquemin : À la suite de l’approbation par les Chefs d’États et des gouvernements de l’OTAN, les Autorités mauritaniennes ont eu la sagesse de mettre sur pieds un comité de pilotage. Ce comité de pilotage est présidé par le ministère de la Défense. Il met ensemble toutes les parties concernées, tous les acteurs concernés en Mauritanie liés à la mise en œuvre de ces 6 initiatives. Ce qui nous a permis d’avoir des discussions et une coopération extrêmement fluide et concrète.
Ceci me permet d’ailleurs de rappeler que toute initiative de l’OTAN doit se faire dans les deux sens : nous apprenons énormément de ce qui se passe en Mauritanie, de ce que les Forces armées mauritaniennes font ; et la réciprocité est également vraie.
L’OTAN c’est la seule organisation internationale en sécurité et en défense et politique qui est à même de pouvoir apporter énormément d’efficacité au niveau de l’interopérabilité et des standards qui sont développés. Cette communion et coopération entre les deux parties portent ses fruits, au niveau des deux côtés.
EL JEICH : Compte tenu des événements que connait le monde (guerres au Moyen-Orient, Russie- Ukraine…) et de la position de la nouvelle Administration américaine qui déclare vouloir réduire sa contribution dans l’Organisation, quel est l’avenir de la coopération Mauritanie – l’OTAN ?
Mme Frédérique Jacquemin : Je pense vraiment que cela ne va pas changer l’intérêt et le soutien de l’Alliance atlantique pour la Mauritanie, dans le domaine militaire et dans le cadre de cette coopération.
Vous avez raison de mentionner que notre planète est un peu secouée en ce moment. Le moins que l’on puisse dire est que les conflits sont partout. C’est extrêmement inquiétant, extrêmement difficile et douloureux pour les populations civiles, pour les forces armées et pour toutes les sociétés. Mais, je pense que l’Alliance atlantique s’intéresse, plus que jamais, aux défis notamment sécuritaires dans la région du Sahel, cette immense région dont la Mauritanie représente un pôle et un lieu de stabilité et de cohérence. Notre devoir est de travailler ensemble et de faire de notre mieux pour maintenir cette stabilité, coûte que coûte, etpour faire en sorte que cette région du Sahel soit plus stable, plus ouverte et que l’on puisse à nouveau travailler tous ensemble.
EL JEICH : Vous avez évoqué la question du Sahel. Prenant en compte le contexte géopolitique dans la sous-région et les menaces sécuritaires qui la secouent, quel est le soutien que l’OTAN peut-elle apporter à la Mauritanie ?
Mme Frédérique Jacquemin : Il y a évidemment d’abord, et c’est important, la compréhension des choses. Grâce à la Mauritanie et son positionnement géographique, nous apprenons de ce qui passe au Sahel. Il y a une prise de conscience de plus en plus grande des défis sécuritaires auxquels la région du Sahel est confrontée et c’est la Mauritanie qui nous montre, d’une certaine manière, le chemin ; d’autant qu’elle est aujourd’hui, le seul pays partenaire de l’OTAN de cette région immense du Sahel. Donc, il y a une prise de connaissance grâce à la Mauritanie de tous les défis sécuritaires auxquels est confrontée la région du Sahel.
Ensuite, les 6 initiatives qui ont été discutées et approuvées,concernent directement la montée en puissance, le professionnalisme des Forces armées mauritaniennes. Donc, ce sont des dossiers extrêmement sensibles, comme les Forces spéciales, toutes les questions des renseignements, de la formation continue, la fourniture d’équipements. De tout cela, nous aidons à renforcer les capacités de la Mauritanie, de façon laplus harmonieuse possible.
EL JEICH : Revenons à l’Initiative de renforcement des capacités de défense et des capacités de sécurité en Mauritanie, quelles sont ses perspectives ?
Mme Frédérique Jacquemin : Depuis que le DCB a été lancé, avec ses 6 initiatives, nous nous sommes focalisés plus sur la formation, l’éducation et l’entraînement. On considère que l’objectif est d’avoir des Forces armées professionnelles, bien éduquées bien formées qui puissent se défendre dans des situations sécuritaires compliquées, dangereuses et qu’elles soient à même d’être professionnelles, acceptées par la population locale et qu’elles puissent défendre nos valeurs et nos priorités communes. Pendant ces deux années, le premier pilier était vraiment la formation.
À partir de cette année, 2025, il va y avoir une vraie montée en puissance, au sujet de ses 6 initiatives, avec évidement l’accordde la Mauritanie et de ses Autorités. Nous allons nous focaliser en plus de la formation, sur les équipements et l’infrastructure. On va voir progressivement que la coopération entre l’OTAN et la Mauritanie, va devenir de plus en plus tangible et visible sur le terrain, toujours avec ces trois piliers qui caractérisent les six initiatives : la formation, les équipements et l’infrastructure.
Je pense que sans des forces armées professionnelles, il ne peut pas y avoir une société cohérente et qui fonctionne, l’un ne va pas sans l’autre.
EL JEICH : Dans les initiatives associées à ce programme, est-ce qu’il y a une qui s’intéresse aux anciens militaires ?
Mme Frédérique Jacquemin : Absolument. Dans ces six initiatives, il y a cette fameuse initiative cruciale qui concerne la conversion et la réinsertion des militaires hors-cadre. C’est quelque chose à laquelle l’alliance atlantique accorde énormément d’importance. C’est un véritable, comme je disais tout à l’heure, pilier d’une société.
Nous travaillons ensemble avec le Ministère de la Défense et la DARI (Direction des Affaires des Retraités et de l’Insertion, NDLR) à essayer de pouvoir mettre en œuvre des programmes concrets de conversion, de formation pour ces militaires, afin qu’ils trouvent un métier, qu’ils trouvent une situation dans la société civile.
Hier, nous étions à Rosso et nous avons visité de fond en comble le CFTAN (Centre de Formation Technique de l’Armée Nationale). Nous avons aussi fait la visite d’une entreprise en charge de la production du riz à Rosso. Nous nous sommes rendu compte de l’importance de ces initiatives. Et l’OTAN est prête à développer et à moderniser le CFTAN, afin de s’ouvrir aussi à la formation de militaires hors-cadre.
Propos recueillis par Cne Ousmane BA